Architecture

La façade néoclassique du château

La pierre de taille et la craie sont toutes deux utilisées pour le château d’Argœuves comme à la cathédrale d’Amiens ; bien que ces deux édifices ne soient pas contemporains, nous pouvons émettre l’hypothèse que ces matériaux minéraux proviendraient des carrières de Picquigny. Cela est certain pour la cathédrale et tout à fait possible pour le château étant donnée la proximité de ces carrières.
La structure du château est en pierre de taille et les parements comme les chaînes appareillées à refends sont en craie pour alléger la construction. Ces chaînes appareillées à refends 1 ressemblent à des bossages car les joints sont très creusés. L’évolution du mur en pierre de taille est le mur en brique. Le premier de ces avant-corps est couronné par un fronton triangulaire 2. Le décor très sobre se limite aux guirlandes que l’on appelle des festons 3 au dessus des fenêtres supérieures. Les colonnes à chapiteaux toscans 4 sont situées sous un entablement à l’antique. Chacune des colonnes repose sur un piédestal 5. Les colonnes romaines se distinguent des colonnes grecques par l’existence du piédestal que les architectes romains ajoutent pour soutenir la colonne. Le premier architecte grec Vitruve avait établi les règles de l’architecture avec les ordres dorique, ionique et corinthien. Au dessus des chapiteaux, sur la frise, sont disposés des triglyphes 6 sur l’axe vertical des colonnes afin de mieux répartir les charges. Des métopes végétales 7 forment une alternance avec ces triglyphes. On peut retrouver ces frises décoratives sur les temples grecs et romains. La balustrade 8 qui couronne l’entablement a subi les effets du temps. La fenêtre centrale est ornée de part et d’autre d’oculi aveugles 9. Les armes des Gorguette 10 marquent le centre du fronton. Les fenêtres inférieures sont surmontées de corniches 11. Des modillons 12 sortes de denticules, viennent coiffer la façade et le fronton. On observe un « touché » du ciel grâce à la verrière zénithale  en forme de pyramide placée au centre de la toiture : c’est un véritable puits de lumière qui donne sur l’escalier principal de la demeure.

Variante de l’hôtel particulier “au champ”

L’édifice est implanté entre cour et jardin. Le plan général se compose d’un corps principal rectangulaire flanqué de deux ailes formant à leur extrémité petits pavillons également de plan rectangulaire. La façade principale de la demeure est tournée côté cour, vers le Sud-est. Le parc étend vers le Nord-ouest la perspective depuis la travée centrale du corps principal et dans cet alignement, l’on aperçoit au loin le château de Saint-Sauveur. 

L’efficacité de la mise en scène du château d’Argœuves se retrouve dans son approche, somme-toute peu éloignée des rues orthogonales tracées en limite de la parcelle. Un parterre engazonné forme rond-point au devant du corps principal ; par réduction de place, la circulation courbe vient « tangenter » la limite foncière Est. Un pigeonnier se retrouve alors côté Ouest, discrètement mis en scène sur le côté du rond-point engazonné. 

L’aménagement de la ferme et des dépendances à proximité participe de cette mise en scène sur une surface restreinte : ces bâtiments forment un plan en L qui protège quelque peu la cour depuis les rues adjacentes. La longue façade fait front sur la Grande rue et se retourne pour accompagner l’entrée en angle de la propriété, vers la cour principale. 

En retrait naturel de la cour principale, une courette de service se love dans l’angle intérieur du L. En extrémité Nord, un chenil s’est improvisé (encore visible par ses clôtures grillagées rapportées) avec une petite serre indépendante qui rompt l’alignement orthogonal et fait face au corps de logis. 

Les constructions de la parcelle constituent donc un ensemble architectural soigné qui répond à un programme complet de la vie d’une seigneurie rurale modeste.

La façade

Haut de deux niveaux, le corps de logis qui constitue le volume majeur du château, est abrité sous un toit en forme de pyramide tronquée surmontée d’une verrière. 

Sur les façades de craie taillée, des chaînes appareillées à refends marquent les angles, les côtés des avant-corps et distinguent chaque travée. Ainsi, la longue façade sur Cour comme celle sur jardin se divise en trois travées compartimentées par les chaînes. L’appareillage marqué en angle se retourne sur les façades latérales où le rez-de-chaussée et l’étage pourraient accueillir une rangée de 4 baies par niveau, si les ailes latérales ne venaient s’appuyaient dans le premier quart de ces façades, en rezde- chaussée, laissant le mur nu à l’étage. Au final, seules, les deux baies de centre, par niveau, sont ouvertes et garnies de menuiseries ; la baie proche de la façade sur jardin restant marquée dans l’architecture, mais aveugle. 

Côté cour, au droit de la travée centrale, dans l’axe, la porte d’entrée est précédée d’un petit portique constitué de deux colonnes d’ordre dorique, cannelées dans leur partie inférieure et supportant une frise ornée de triglyphes et de métopes. Ce portique est couronné d’une balustrade avec main-courante en pierre qui assure la sécurité au vide du balcon, lequel poursuit la mise en valeur de la travée d’axe à l’étage.

De part et d’autre de la baie d’axe d’étage, la façade est décorée de couronnes à feuillage. 

Encadrée de chaine de pierres régulières, les deux travées latérales de cette première façade de corps principal sont percées de larges fenêtres rectangulaires en rez-de-chaussée comme à l’étage, chacune surmontée de linteau sculpté. Le décor extérieur se limite aux guirlandes placées au-dessus de certaines fenêtres et aux colonnes toscanes précédant la porte principale.  

À noter que les baies latérales à la travée centrale sur cour, comme celles des ailes à la suite, sont équipées de volets à persiennes, assemblage à claire-voie de lamelles inclinées ? Cet équipement apparaît anachronique avec l’architecture de la maison bien que les volets extérieurs apparaissent à la fin du XVIIIe siècle, au moment où les fenêtres à grands carreaux se généralisent. En revanche, la baie d’axe d’étage sur cour du corps de logis conserve des guichets brisés rabattables le jour dans les ébrasements masqués par des boiseries. Si aucune trace de tels volets intérieurs antérieurs ne se lisent au droit des ébrasements des autre baies, on constate au droit de la façade sur parc, que les volets qui clôture les baies des pans du corps central avancé, s’articulent mal avec l’architecture et viennent en contradiction avec les angles rentrants. Ces dispositions obligent par ailleurs des impostes fixes au droit des hautes baies du rez-de-chaussée et le maintien des volets fermés en allège au droit de la baie d’axe d’étage côté parc, là où une serrurerie serait mieux venue. 

 

Quelques précisions

En toiture, une lucarne à croupe, dite « à capucine », s’aperçoit en arrière et au-dessus du fronton d’axe, ce dernier ne constituant qu’une simple émergence décorative, sans porter de comble en pénétration. Deux lucarnes plus petites et en milieu de toit se retrouvent latéralement. Une dernière lucarne d’accès, à l’image de celle côté cour, ouvre le toit vers le parc. 

Une pyramide formant verrière constitue un petit campanile surmontant le faîtage de la toiture qui amène un éclairage zénithal au cœur de l’édifice majeur, comme on le verra par la suite. De puissantes cheminées animent par ailleurs la toiture : deux symétriques côté Cour, deux latérales deux en milieu d’arêtier côté Parc… La plupart sont garnies de mitrons. 

La construction des ailes est advenue à la suite de la construction du corps principal. Cependant, et comme on le verra dans les détails d’aménagement et de traitement intérieur, même si les dispositions intérieures des ailes varient quelque peu, tout porte à plaider leur légitimité en accompagnement du corps central, pour les services qu’elles abritent. Si le corps central a pu être soigné et bâti en premier lieu, les ailes se sont très certainement imposées rapidement à la suite. En tout cas, elles relèvent de la même architecture que le corps principal à quelque variante près nécessaire pour marquer la hiérarchie d’usage.

Les deux ailes latérales étroites, avancées à l’alignement de la façade Sud-est, se terminent en pavillon, haut d’un seul niveau sous comble dont le volume de toiture est également à croupes. Ces pavillons qui semblent être la réduction volumétrique et homothétique du corps central majeur, y sont rattachés par des constructions intermédiaires plus modestes assurant la circulation linéaire et commandée. Ces volumes de liaison sont couverts par une toiture à deux pentes dont le faîtage s’inscrit juste sous la corniche d’égout des pavillons d’extrémité. Côté cour, ils sont percés d’une porte à planches, entrées latérales et de service de la demeure. Côté parc, ces liaisons sont éclairées par une petite baie rectangulaire. 

Les façades principales des volumes d’extrémité (côté Cour, comme côté parc) sont percées de trois hautes baies rectangulaires en rez-de-chaussée, que surmontent au-delà de l’égout trois lucarnes : celle de l’axe est constituée par une lucarne – là-encore -, dite « à capucine », habillée d’ardoise jusqu’aux jouées, avec arêtier à zinc ; les deux lucarnes latérales dite en œil-de-bœuf, sont à encadrement et habillage en zinc façonné. 

  • Côté parc, on retrouve le même rythme d’architecture avec quelques différences : Les ailes latérales étroites alignées sur la façade Sud-est côté cour, se retrouvent ici en retrait, dégageant largement en façade Nord-ouest le volume majeur du corps central ; 
  • La façade sur le parc du corps central majeur retrouve un rythme de trois travées, mais ici, la travée centrale forme avant corps saillant à trois pans.

Les dépendances

Sorte de vaste longère, les dépendances se développent sur un plan en L, isolant la propriété depuis la rue et protégeant une cour de service clôturée. Ces constructions de pierres avec chaînages de brique présentent un niveau d’élévation sous une toiture à deux pentes avec pignons droits aux extrémités. Le rythme des volumes est donné par l’alternance des toitures :

  • Le volume majeur aligné côté Nord le long de la Rue Neuve se compose d’un corps principal et de deux ailes latérales, celle du Sud-est venant en pénétration dans le comble du volume Est ; 
  • Le volume Est adressé du côté de la Grande Rue est plus linéaire. 

Les toitures sont en ardoise côté Cour de service, en tuiles mécaniques côté rue, alors même que ce matériau ne couvre pas la totalité de la dépendance Nord. Les faîtages entre les deux matériaux sont en terre cuite ; en zinc pour l’aile Est. 

Dans l’axe du corps central Nord et dans celui du corps Est, les avancées de toitures en pignon abrité des deux ailes orthogonales marquent les entrées principales de chacune des ailes du plan en L, côté cour de service. 

Ces dépendances abritent les anciennes écuries ou étables où les équipements restent en place : sellerie, stalle, etc. Les sols en brique sur champ, alignent un caniveau transversal dessiné dans la mise en œuvre des briques, pour les nécessités d’assainissement ; les bas des murs sont peints en rouge foncé formant large soubassement ; le reste des murs est peint en blanc jusque sous les plafonds, le plancher d’étable et la remise à foin du dessus. Les granges témoignent toujours de l’activité qui y été établie. 

Les menuiseries de clôtures et autres portes de grange sont à lames de bois verticales et régulières, ce qui a amené à les peindre avec un rythme alterné blanc et vert. Les vantaux rectangulaires sont surmontés d’impostes vitrés ou peints en noir avec un croisillon formant petit bois au devant. 

À noter que l’on retrouve des arches à pigeon sous les toits du corps central des dépendances, les volatiles ayant accès aux combles, stockage du foin. 

À noter qu’un Monument aux Morts est implanté contre le gouttereau Sud de l’aile Sud-est de la ferme, côté rue dans l’angle entre la Grande’Rue et la Rue Neuve, l’entrée à la propriété considérée se faisant au-devant. Le dégageant protégé occasionné a donné lieu à une place commémorative du 11 Novembre 1918.

Les armes des Gorguette

L’écu présent au centre du fronton est marqué par trois croissants de lune. Le croissant est le symbole de la transformation et de la croissance d’une famille. C’est l’une des formes les plus caractéristiques des mouvements de la lune : symbole à la fois du changement et du retour. 

Sur cet écu, sorte de bouclier au centre de la composition, on remarque aussi une hure de sanglier, la Picardie étant une région dans laquelle on chasse fréquemment cet animal. Au début de notre ère, on chassait le sanglier en Gaule aussi bien qu’en Grèce. Le sanglier figure très fréquemment sur des enseignes militaires gauloises, en particulier sur celles de l’arc de triomphe d’Orange. Le sanglier constitue la nourriture ramenée par le chasseur. 

Les licornes que l’on retrouve sur les armoiries d’Amiens semblent maintenir l’écu au centre avec leurs pattes avant. La licorne médiévale est un symbole de puissance, qu’exprime essentiellement la corne, mais aussi de faste et de pureté : elle représente la révélation divine.

La couronne qui vient coiffer ce bas-relief de pierre est celle d’un marquis. Ce titre de noblesse appartient à la famille Gorguette et attestait de l’ancienneté de la famille puisque, sous l’empire qui commença en 1804, Napoléon décida de ne pas le retenir dans les titres nobiliaires. Néanmoins, lors de la construction du château, en 1809, Jean-Baptiste de Gorguette n’hésita pas à représenter la couronne de marquis sur le fronton triangulaire couronnant la façade principale. Les anciens et les nouveaux titres de noblesse furent tous reconnus pendant la Restauration en 1814.